Les difficultés liées au sous-financement du financement du secteur social sont innombrables et se manifestent à tous les niveaux et dans toutes les régions du pays. Ces derniers mois, ce sont plutôt les travailleurs sociaux du service public qui sont montés au créneau pour dénoncer la situation d’indigence du secteur. On a vu successivement entrer en action les travailleurs des CPAS, ceux des SPJ ou des PMS. Dans le secteur associatif, les mobilisations ont été moins courantes mais cela ne signifie évidemment pas que les travailleurs sociaux y sont confrontés à des difficultés moindres que celles vécues par leurs collègues du public.
Témoignage de deux travailleuses sociales en maison médicale dans la région de Liège
Travail Social en Lutte : Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Marie : j’ai 25 ans. Je me suis d’abord engagée dans des études de science-po avant de me tourner vers des études d’assistante sociale. Une fois mon bac obtenu, J’ai d’abord travaillé dans l’aide alimentaire et cela fait maintenant trois ans que travaille en maison médicale. Politiquement, je milite depuis mes 14 ans et c’est quelque chose qui a vraiment nourrit mon parcours et ma réflexion professionnelle. Dans la maison médicale où je travaille, je m’occupe de l’animation d’activités de santé communautaire, je fais également des entretiens individuels mais je suis aussi régulièrement à l’accueil.
Laure : En ce qui me concerne, je suis diplômée en écologie sociale et en santé publique. Je travaille depuis 7 ans en maison médicale comme accueillante et travailleuse sociale mais j’ai travaillé aussi en CPAS dans des projets contre la précarité énergétique. Je suis investie dans une série de collectif à visée sociale ou environnementale dont le collectif La santé en lutte.
TSL : A quoi ressemble le travail social en maison médicale ?
Marie : C’est d’abord un travail très diversifié qui va du groupe à l’individuel et où le travail social commence dès l’accueil.
Laure : le travail social en maison médicale, c’est de la première ligne donc on est un peu comme le médecin généraliste. On apprend tous les jours. C’est rare d’avoir un service généraliste avec un seuil d’accueil aussi bas, quasiment universel.
Marie : En ce moment, je gère beaucoup de situations d’endettement en raison du coût des soins de santé ou des frais d’énergie ou de télécommunication. J’ai également beaucoup de dossiers liés aux difficultés de logement ou de mal-logement. Cela concerne d’ailleurs les logements sociaux autant que le parc locatif privé.
Laure : Il y a également pas mal de violences intrafamiliales, des difficultés liées à l’accès au droits ou bien au droit du travail. Il faut comprendre qu’une situation, ce n’est jamais qu’un seul problème. Par exemple, j’ai pu suivre une situation de violence dont il est apparu qu’elle se doublait d’une situation de mal-logement et de difficulté avec la mutuelle.
Marie: Nous gérons aussi beaucoup de situations où les gens sont entre deux institutions ou entre deux caisses d’allocation, par exemple lorsque les gens changent de CPAS, ça occasionne pas mal de difficultés.
Laure: Sans compter toutes les situations liées à la précarité numérique qui sont en fait des difficultés qui n’existeraient pas si les gens pouvaient trouver à parler à des gens dans les administrations !
TSL : Est-ce que vous voyez une évolution dans votre travail ?
Laure : Oui, notre travail est de plus en plus compliqué. On a l’impression que plus rien n’est négociable avec les administrations. C’est de plus en plus compliqué de se faire un réseau de personnes dans les services administratifs que l’on va pouvoir solliciter pour une info, une démarche… Maintenant tout se fait par formulaires de contact ou bien les appels téléphoniques sont filtrés par des call-center. On peut de plus en plus rarement interpeller directement un gestionnaire de dossier. De ce point de vue aussi on peut dire que la numérisation engendre des difficultés supplémentaires. Je crois qu’il est également de plus en plus difficile pour les gens dans les administrations de gérer les procédures avec souplesse, de prendre en compte les situations particulières. Nous dépensons de plus en plus d’énergie dans des démarches administratives que les gens ne savent plus gérer seuls parce que c’est de plus en plus compliqué.
Marie : Nous sommes témoins de la dégradation croissante de la vie des gens : santé, logement, charge parentale… Ça devient infernal, même pour les gens qui travaillent : on constate que notre public n’est plus seulement celui des allocataires sociaux. De plus en plus de gens qui travaillent sollicitent nos services. Des gens qui sont de plus en plus broyés par le système, qu’on culpabilise de plus en plus et donc avec lesquels il est de plus en plus difficile de travailler.
TSL : Un travail social dans une unité de soins de santé, ça ne coule pas forcement de source.Est-ce qu’il y a toujours eu des travailleurs sociaux en maison médicale ?
Laure: Non, ça n’a pas toujours été le cas mais aujourd’hui, pour être reconnu comme maison médicale, il faut qu’une travailleuse sociale y soit employée ou que la maison médicale travaille avec un service social extérieur. Avoir des travailleurs sociaux en maison médical, c’est important sur le plan de la santé globale mais aussi pour décharger les médecins et leur permettre de se concentrer sur les problèmes strictement médicaux.
Il faut bien comprendre cependant que ça reste un choix de chaque maison médicale d’affecter plus ou moins de budgets au travail social et que, même si certaines sont plus riches que d’autres, le financement du travail social en maison médical reste précaire et ne couvre pas les besoins du public.
Marie: Nous sommes souvent engagés sur des subsides non-récurrents comme par exemple le fond blouse blanche. Moi je travaille avec une clause résolutoire sur mon contrat en cas d’impossibilité de financer mon temps de travail.
Laure: En fait, le subside forfaitaire que reçoivent les maisons médicale pour chaque patient est conçu pour prendre en compte le travail du médecin, du kyné et de l’infirmière. Mais il n’y a pas de subside structurel pour les accueillants ou les travailleuses sociales…alors même qu’il est obligatoire d’en avoir pour être reconnu comme maison médicale ! Cette situation rend précaire l’existence du travail social en maison médicale mais a aussi des conséquences en termes de reconnaissance du travailleur social lui-même, de sa place au sein de l’équipe pluridisciplinaire.
Marie : Depuis un an, le plan « sortir de la pauvreté » de l’AVIQ subsidie un mi-temps d’assistante sociale par maison médicale mais c’est un subside non-récurrent donc qui maintient les AS dans une situation précaire. Cette façon de nous subsidier nous demande d’ailleurs du temps pour remplir les évaluations de projet alors que c’est très peu lu. C’est du temps en moins que nous pouvons consacrer aux gens.
Laure : Déjà, rien que le titre grandiloquent de ce subside…Donner un demi-AS durant un an avec pour objectif de sortir les gens de la pauvreté. Ça n’a pas de sens ! Au-delà de ça, cette politique de la subsidiation par projet nous précarise en tant que travailleur mais complique aussi notre travail : Il est difficile de rester au courant, de bien connaître du réseau qui change constamment au grès des projets impulsés par les cabinets. De plus, cela crée de la concurrence entre maisons médicales : qui va emporter le subside ? Qui va rester sur la touche ?
Marie: C’est vrai. Nous sommes constamment en train de nous financer en fonction de plusieurs subsides. On doit faire des calculs savants pour savoir quelles heures de travail nous pouvons valoriser en fonction de quel projet. Et il y a peu de disponibilités du côté des pouvoirs subsidiants pour nous aider à nous y retrouver.
Laure: Le plus dur peut-être, c’est que nous pallions souvent à l’indigence des services publics et que ce n’est manifestement pas reconnu par les décideurs. Sinon, nos missions qui sont d’utilité publique seraient financées de façon plus pérenne.
TSL : Quelles seraient les revendications que vous voudriez voir portées par les travailleuses sociales des maisons médicales ?
Laure: Ce sont des revendications qui devraient aller au-delà de notre secteur au sens strict.Nous avons besoin d’êtres humains dans les administrations avec lesquels discuter des dossiers particuliers. Il faut mettre en œuvre l’automatisation des droits, par exemple pour l’obtention du statut BIM. Est-e qu’au moins la numérisation et les banques de données ne pourraient pas servir à ça ? Et nous devons débloquer les moyens financiers qui nous permette de travailler durablement.
Marie: Il faudrait aussi inverser la logique qui est à l’œuvre depuis l’avènement de l’état social actif : le contrôle doit passer après le fait d’accorder une aide. Et surtout, supprimer le statut cohabitant qui est un facteur important de précarisation des allocataires sociaux. Cela aurait en plus comme effet de libérer des logements puisque cela supprimerait un obstacle à l’installation des couples dépendants de l’aide sociale.
TSL : Quelles perspectives voyez-vous à la mobilisation dans votre secteur ?
Laure: En ce moment c’est difficile. Comme partout dans le social, la charge de travail est telle que nos collègues ont trop le nez dans le guidon que pour songer à améliorer leurs conditions de travail.
Marie: Beaucoup comprennent l’utilité de la mobilisation collective mais il y a aussi beaucoup de découragement. et puis nous sommes à l’ère de l’individualisme. Comment cela ne touchrait-il pas également les travailleurs sociaux ?
Laure: Je pense aussi qu’il n’y pas beaucoup d’impulsion de la part de la fédération des maisons médicales et de la génération historique des fondateurs des maisons médicales. Ils mobilisent difficilement. Nous devons réinvestir le discours politique originel des maisons médicales qui était un discours de transformation sociale, un discours révolutionnaire. On sent qu’il manque de plus en plus d’engagement militant.
Marie: Oui, il y a des perspectives mais pour ouvrir le champ des possibles, les maisons médicales doivent mieux faire la jonction avec le reste du mouvement social.
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