En collaboration avec le Collectif solidarité contre l’exclusion
Avec la dématérialisation des services, c’est l’ensemble du lien social qui se meurt. Aujourd’hui plus que jamais, il s’agit de remettre des moyens et de l’humain dans le social. Nous ne pouvons plus accepter d’être les béquilles d’un système malade et déshumanisant dont la volonté politique sous couverts de lutte contre les inégalités se limite à la gestion de la pauvreté.
Comment arrêter de participer à cette logique ? Quels leviers d’actions avons-nous à notre disposition ?
Il y a un peu plus d’un mois, convaincu.e.s de la nécessité de créer des espaces qui réunissent des travailleurs et travailleuses de terrain, nous organisions une première discussion afin d’échanger sur ce que la pandémie, et avec elle la dématérialisation des services, avait eu comme conséquences sur notre travail et sur la vie des personnes que nous rencontrons au quotidien.
Lors de cet échange, nous étions une majorité, issu.e.s du milieu associatif, a dresser les mêmes constats. Nous sommes les seuls à avoir continué à ouvrir nos portes. La plupart des services publics, services aux personnes de manière générale (mutuelles, syndicats, CPAS, administrations communales, …) étaient et continuent d’être accessibles uniquement par téléphone ou internet. Encore aujourd’hui après plus d’un an alors qu’on réouvre l’horeca et la culture. Une preuve de plus s’il en fallait, que le social n’est pas une priorité. Une grande exaspération se fait ressentir du coté des services sociaux de première ligne qui sont devenus les sous-traitants de tous les services dont les guichets sont fermés.
Il y a un vrai sentiment d’instrumentalisation des politiques quand les pouvoirs publiques se déchargent sur l’associatif.
Alors que la pandémie a fait porter le plus lourd tribu des conséquences socio-économiques de la crise aux personnes déjà précarisées – ce qui s’est traduit par une augmentation du nombre de demandes et de situations urgentes- , la dématérialisation des services a rendu les procédures beaucoup plus lentes (des mois de traitement). D’autant plus, lorsque les situations sociales sont complexes et pour lesquelles, il ne s’agit pas uniquement de cocher telle ou telle case. Beaucoup des ces situations auraient pu être résolues directement si les personnes avaient pu expliquer leur situation à la personne qui traite leur demande.
On parle beaucoup de fracture numérique mais ne pas avoir accès à internet ou ne pas savoir utiliser les outils informatique ne sont pas les seules raisons pour lesquelles ils est impossible de faire du travail social de manière dématérialisée. Ce travail nécessite de créer des relations, ce qui ne peut-être fait qu’en présence. Après plus d’un an de dématérialisation du social, que le prétexte COVID a permis d’accélérer à une vitesse sans précédent, nous craignons la pérennisation de ce type de pratiques qui, par les économies qu’elles permettent, participent à la gestion quantitative du social et la marchandisation des services sociaux qui était déjà en cours. Cette gestion managériale du social a d’importantes répercussions, tant sur la charge que sur la nature de notre travail. En passant notre temps en attente téléphonique, à remplir des formulaires en ligne ou papier à la place des autres services, on se transforme en automates, ce qui ne permet plus de prendre du recul et de penser nos pratiques.
Au final, et cela participe clairement à une volonté politique, notre travail se résume à faire fonctionner un système qui dysfonctionne. En rendant les personnes toujours plus dépendantes de nos services, nous allons à l’encontre de l’émancipation à laquelle devrait contribuer le travail social.
Par ailleurs, la numérisation du social participe aussi à renforcer la précarisation des personnes, qui, face à un parcours du combattant, se trouvent coincées dans les méandres administratifs, finissent par abandonner et n’accèdent plus à leurs droits. A croire que cette complexification des démarches est elle aussi une volonté politique.
La numérisation du social a aussi des conséquences catastrophiques sur la santé mentale. Les victimes des répercutions sociales de la crise ne trouvant plus d’intermédiaire à qui se référer, se retrouvent dans une détresse immense. Sans oublier, toutes ces personnes âgées, isolées pour qui le fait de se rendre au guichet de leur mutuelle était souvent, la seule occasion de la journée d’avoir une interaction sociale… Avec la dématérialisation des services, c’est l’ensemble du lien social qui se meurt. Aujourd’hui plus que jamais, il s’agit de remettre des moyens et de l’humain dans le social. Nous ne pouvons plus accepter d’être les béquilles d’un système malade et déshumanisant dont la volonté politique sous couvert de lutte contre les inégalités se limite à la gestion de la pauvreté.
Comment arrêter de participer à cette logique ? Quels leviers d’actions avons-nous à notre disposition? Nous avons déjà questionné le fait de continuer d’accepter de faire le travail de ceux dont les guichets sont fermés, d’envoyer des mails ou de remplir les formulaires en ligne, à la place des personnes. Nous avons aussi évoqué, inspirés par l’exemple de nos collègues français, l’idée d’une journée d’arrêt du travail social pour demander un refinancement massif du secteur.
Des questions ont déjà été posées pour aller plus loin :
- Un refinancement, oui mais pour faire quoi ?
Est-ce que cela permettra de garantir :
– que nous n’auront pas à continuer à remplir des formulaires en ligne toute la journée ?
– la réouverture des tous les guichets dans les autres institutions publiques ou privées ?
– de faire du travail social un outil d’émancipation ? - Comment dépasser la dualité entre travailleurs de l’associatif et travailleurs des services publics ?
- Comment dépasser l’opposition conditions de travail/ situations des personnes ?
- Quels autres leviers d’actions possibles: la voie juridique?
- Plus concrètement, une journée d’arrêt ok mais avec qui et comment ?
- Qu’en est-il de la participation des premier.es concernées, les usagers ?
C’est pour répondre ensemble à ces questions (en amener d’autres) et élaborer une stratégie commune que nous vous invitons à poursuivre la discussion le 17 juin prochain en ligne (mais promis c’est la dernière formule en ligne, la prochaine fois on se rencontre en personne et on construit du social).
Au plaisir de vous y voir.